Avec la rentrée, nous reprenons les maraudes sur un rythme plus régulier. Nous nous sommes concertés avec les autres associations qui organisent des distributions de repas pour éviter de faire doublon, et avons décidé de venir le midi par ce que c’est là que les manques sont les plus importants. Pour l’instant, on prévoit deux midis par semaine : le mercredi et le samedi. Nous concentrons notre action sur le square Jeanne Jugan, derrière la Part-Dieu, où une dizaine de tentes ont pris place, avec l’ambition d’aller de temps en temps à Perrache et partout où on repérera des besoins.
Nous récupérons les surplus d’une AMAP et préparons de la soupe avec les légumes, grâce à des colocations d’amis étudiants et membres de l’association qui nous accueillent, ici et là. Ce matin, nous avons donc gaillardement épluché les céleri, coupé les choux, etc., pour aller faire une distri vers 13h. L’organisation entre nous, pour savoir qui peut ramener une marmite, un mixeur-plongeur, etc. n’est pas encore parfaite, on manque encore un peu d’équipement, mais on y travaille ! Comme on avait le luxe d’aller au square en voiture, on a pu apporter aussi un grand carton de vêtements issus des collectes de décembre, pour que les personnes puissent se servir selon leurs besoins. Il y avait pas mal de monde : des familles qui dorment là dans des tentes, et des familles qui dorment au gymnase ouvert par la Ville, mais passent la journée là puisqu’elles sont forcées de quitter le gymnase pendant la journée. Le 115 qui est pas loin fait un accueil de jour pendant l’après-midi, certains y vont se réchauffer. Je dirais qu’il y avait bien une dizaine de tentes, quatre ou cinq familles avec des enfants entre 5 et 10 ans, et plusieurs groupes de jeunes et d’adultes. Les nationalités se mêlent, avec beaucoup d’Européens de l’Est (Albanais, Serbes…) mais aussi un Iranien, un Soudanais…
La soupe a finalement moins de succès que la grosse marmite de pâtes à la sauce tomate qu’on avait préparée aussi : faut-il modifier notre cuisine? Difficile de savoir ce qui plaira ou pas face à une population diversifiée, originaire de pays aux habitudes culinaires différentes des nôtres. En tout cas, les thermos de café ou thé chaud et les petits gâteaux au chocolat s’écoulent comme des petits pains. La distribution est aussi l’occasion de parler avec eux, en albanais grâce à notre polyglotte Lola, en anglais, allemand ou français pour tout le monde, selon les cas. Quelques familles nous signalent des besoins en chaussures. Une mère nous explique que ses deux filles ont besoin d’un dentiste – elles ont tellement mal qu’elles refusent de manger. Un père de famille nous montre son smartphone cassé, le seul dont ils disposent, et nous demande où le réparer. Ina, qui loge maintenant dans le gymnase avec sa famille: c’est un hébergement d’urgence qui a été mis en place avec le Plan Grand Froid, et a été prévu pour durer dix jours. La Ville décidera-t-elle de prolonger l’hébergement, ou seront-ils renvoyés à la rue malgré le froid? Nous six, on se sent assez démunis face à ces demandes : on conseille de notre mieux, on donne une adresse, on les oriente vers une structure plus compétente, on promet de se renseigner faute de mieux. Moi, ne sachant plus quoi faire à part offrir mes sourires, je me mets de côté et regarde les enfants qui escaladent la grande araignée du square en me criant « guck mich ! schau mal ! » (« regarde! »), trop heureux d’avoir un public. La résilience des enfants m’impressionne vraiment, et leur capacité d’apprentissage aussi : après quelques mois à Frankfurt, ils parlent allemand bien mieux que leurs parents. Je prends le pari que bientôt, ils réclameront mon attention en français.
Claire